XV

 

Chantal

 

– Oh ! ne pleure pas, je t’en prie !... Je suis si malheureux !

Il bégayait, agenouillé près d’elle, l’embrassant.

– Chérie ! Non, je ne m’en irai pas... je te promets !... Tais-toi !... oh ! tais-toi !... Oui, je t’aime bien, je vous aime bien !... J’étais fou... C’est vrai ! Vous étiez là... je ne savais plus... je...

Chantal se souleva du divan où elle était tombée.

– Vous resterez ? dit-elle. Bien vrai ?... Votre parole ?

Et un grelottement lui entrechoquait les dents, à la pensée que, sans elle, si on ne sait quel miracle d’attirance ne l’avait rappelée dans ce fumoir – sitôt revenue de Passy avec le grand-père –, c’était fini à présent du « beau duc ».

– Dites : je le jure ! fit-elle encore. Ah ! dites donc... par pitié ?

Debout maintenant, elle se baissait à sa taille, lui nouait au cou ses deux bras, et, ravalant ses sanglots, le choyait, le câlinait, le traitait en tout petit.

– Je... le... jure !

– Dites : je le jure sur le Christ... qui est mort... pour nos péchés... sur ma mère..., sur mon père, qui m’entend là-haut.

Lui, soumis, sans force devant cette volonté, répétait en écho :

– Je le jure sur le Christ... qui est mort... pour nos péchés..., sur ma mère..., sur mon père..., qui m’entend là-haut.

– Bien ! Levez-vous !... Papa, vous entendez, levez-vous !

Son respect se mourait, à le voir si déjeté, si veule, et, sans connaître le pourquoi de son anéantissement, elle jugeait que c’était irréparable.

– Allons ! papa... Mais levez-vous donc ! Et ne pleurez plus !... Moi, voyez, je ne pleure plus... Puisque vous êtes là... Tout va bien !... Bah ! Voilà-t-il pas une belle affaire, parce que nous serons un peu moins riches !... Vite, allons retrouver maman !... Ah ! elle a eu joliment peur. Vous parti, il est venu des tas de gens qui criaient... Elle est là, dans le petit salon du haut, avec bon papa !... Mais, d’abord, il faut que vous me promettiez une chose... Oh ! vous me devez bien cela ! dit-elle, en se forçant à sourire dans ses larmes. Promettez-moi de ne plus dire non, si monsieur Varon-Bey...

– Ça, jamais ! cria-t-il. Jamais !

Il s’était mis droit, grandi et comme ressuscité : et ce fut d’une voix terrible et claironnante qu’il lança ces trois mots soulignés d’un beau geste.

Mais elle :

– Je sais, il m’aime toujours et moi aussi je l’...

Elle n’alla pas plus loin. À quoi bon ? Aurait-il été dupe de ce mensonge ?

– Je vous en prie ! continua-t-elle. Je vous en prie bien... bien... – Et plus bas, appuyant sa phrase d’une étreinte, comme si elle avait voulu prendre ses volontés, elle ajouta : – Il le faut !... Il le faut !...

Il répéta : « Jamais ! » et détourna les yeux, gêné par ce regard de poix qui lui collait à la peau.

– Ah ! taisez-vous ! dit-elle, en lui plaquant sa main sur la bouche.

Et involontairement elle se retournait, frissonnant de la peur que quelqu’un l’eût entendu.

Puis, sans plus insister, sûre d’elle, elle lui montra sa chambre :

– Habillez-vous, dit-elle. À moins que vous ne vouliez rester si beau que cela... !

Prudente, elle demeura contre la porte, aux aguets. Et, s’étant souvenue d’une autre entrée sur le couloir, elle y courut, et d’ici là se mit à faire la navette, d’un pas posé de sentinelle. Des larmes tremblotaient encore parmi l’ébouriffement de ses cheveux, qui flottaient à son front ainsi qu’une gaze fine diamantée, et, sous le juste de drap à gros plis, sa poitrine haletait, comme si cela la navrait, ce refus, et que, fiancée promise, tout son cœur bondissait vers le fiancé éconduit.

Le duc revint en bourgeois, rapetissé, défait, méconnaissable ; de la peau ballait à ses joues, des cordons de chair lui pendaient sous le menton, et, dans la rougeur échauffée du visage, entre l’écheveau de rides des yeux, la prunelle étroite et dépolie semblait une piécette d’argent vieux.

Ils allèrent côte à côte au long du corridor, lui, traînant les pieds, près de tomber à chaque pas. Au bout, comme elle l’entraînait, des pleurs lui montèrent, à sentir le bras de Chantal sous son bras.

– Mais c’est ici ! Vous ne vous reconnaissez pas ?

Non, il ne se reconnaissait pas.

Dans le petit salon, qui tenait à sa chambre, la duchesse attendait, angoissée, consolant son père qui pleurait. – Oui, il pleurait, le Palikare, si ganté, si boutonné, si verni, qu’on l’eût juré de noce ou d’enterrement pour le moins. Seulement il pleurait dans son chapeau : car il eût fait beau voir un Palikare...

À l’entrée du duc, sa femme se leva, et, souriante, sans un reproche même des yeux :

– Vous êtes bon d’être revenu ! lui dit-elle.

Il ne put répondre et cherchait une phrase attendrie, quelque chose qui fût à la hauteur de ces indulgences sereines. Enfin, ayant ramassé sa mémoire, il poussa Chantal entre deux, sanglotant :

– Embrassez-la... embrassez-la !

Après un bref salut à M. Baccaris, il s’écroula dans un fauteuil, d’où il ne bougea plus que pour ouvrir ses bras à François, que Chantal amenait, pensant qu’à plusieurs on se défendrait mieux. Et, comme s’il eût compris ce qu’on attendait de lui, l’enfant demeura pendu au cou de son père.

D’instant en instant un valet entrait avec des papiers, des cartes de condoléances curieuses, qui s’étaient venues cogner le nez contre la porte défendue. La duchesse lisait le nom à voix haute, puis chacun reprenait ses pensées.

Après le dîner silencieux et pesant, le marquis de Boisgelais arriva, la barbe en soleil sur la poitrine, épinglé et morne, dans sa belle apparence comme il faut. Il excusa sa femme, qui, sûrement l’aurait accompagné, si elle n’avait été retenue près de la maréchale très souffrante depuis qu’elle avait appris le « malheur ». Et il s’apitoyait, délayant des périodes d’oraisons funèbres, froides, vides et pompeuses comme lui.

M. Baccaris était sorti à l’anglaise, glacé par la présence de son gendre, qui, encore que tombé, lui en imposait. Afin de parer au plus urgent, il laissait à sa fille un chèque de cent mille francs sur son banquier, juste la moitié de ce qu’il lui restait de fortune, en dehors de ses collections. – Car ce n’était pas la première fois qu’il payait les dettes de son gendre.

Entre-temps, le général Salmon fit une entrée de projectile. D’une humeur de dogue, ce vieux : toute la journée, à la recherche du « petit », il avait battu le pavé inutilement. Nul ne savait où le duc était passé ; et la seule personne peut-être, qui ne l’ignorât pas, la baronne, avait eu l’air, lui présent, « d’arriver de Chaillot », comme il disait.

– Ah ! S... brigand ! cria-t-il de la porte. Comment ! f... ! on te croit ad patres et tu te permets d’exister ?... Demande mille pardons, madame, mais on ne se moque pas comme ça du général de division d’artillerie Salmon, de Metz, sénateur... ancien ministre !... M’avoir fait courir à la Morgue pour rien... S... mille millions de tonnerre de b... D... !

Et, s’asseyant sans voir le marquis, il ajouta d’une voix menaçante :

– Tu me dois 17 francs 85 centimes de voiture... Ah ! Monsieur le marquis, bonsoir ! Demande mille pardons... Je ne vous avais pas reconnu.

Après un baiser à Chantal et une taloche à François, il tira un fauteuil près du duc et lui parla longtemps à voix basse, prenant des notes dans un portefeuille grand comme lui.

Le marquis s’en allait sur une phrase bien redondante d’espoir : les affaires s’arrangeraient, il ne doutait pas que la maréchale...

– Et moi j’en doute, intervint le général Salmon. J’en doute, monsieur le marquis, et ne parierais pas un fichtre... sacredié non ! pas un fichtre... Mais, ayez pas peur ! Me charge de la secouer, moi !

– Veuillez croire, mon cher, continua le marquis, que, pas plus que personne, je n’ai cru un mot de ces abominations du journal... L’honneur est sauf...

– En êtes-vous bien sûr, monsieur le marquis ?

– Mais...

Et, roulant des épaules, M. de Boisgelais se tourna vers sa belle-sœur et lui dit entre bas et haut :

– Vous savez qu’il l’aime toujours et que... si Chantal voulait...

– Oh ! fit la duchesse.

Et elle regarda son mari et Chantal, qui, silencieuse dans son coin, écoutait.

– Vous voulez parler du sieur Varon-Bey, monsieur le marquis ? dit le général Salmon. Eh bien ! vrai ! n’êtes pas dégoûté de parler de ça ici... En voilà un, qui, s’il me tombe jamais sous la patte... avec sa baronne, aussi vrai que je m’appelle Salmon, de Metz... !

– Allons donc ! mon général ! interrompit le duc qui écrivait à une table, vous savez bien que jamais de la vie je ne donnerai Chantal à ce coquin...

Sa voix avait repris le timbre des anciens jours, calmé, dans cette atmosphère de famille, ce coude-à-coude très doux d’intérieur, dont tout l’horizon tenait à l’étroit rond de clarté d’une lampe.

– Bonsoir, cher ! Amitiés à Mathilde ! dit-il au marquis qui sortait.

Alors, pendant que la duchesse, un peu lasse, d’une nuit sans sommeil, s’endormait au bercement de ces bavardages d’affaires, Chantal se retira sans bruit, avec un long regard triste à ses chers aimés.

Elle renvoya sa femme de chambre, et, ouvrant sa fenêtre, s’accouda à cette même place où elle s’était accoudée le matin. Le jardin, assoupi dans une paix chaude d’orage, paraissait, grandi par l’ombre, s’enfoncer aux murailles indéfiniment reculées. Les arbres dressaient par places leurs larges ombrelles noires, immobiles, sur les pelouses ceinturées d’allées claires ; plus loin il y avait des murs qui se dégradaient dans une gamme pâle de crépuscule, tandis qu’en haut le ciel était couleur de mauve, semé de nuages sales en paquets, qu’un reflet de lune frangeait comme d’une mousse.

Juste au-dessus, dans une orbite béante entre les nuées, une petite étoile tremblait.

Des voix lointaines faisaient un bruit pareil à celui d’un grand vase, qui se serait empli et vidé continuellement : parfois un coup de vent dans les acacias du jardin déjuchait des oiseaux endormis qui piaillaient.

Où étaient-ils, ses espoirs du matin, si roses et si bleus, ce concert de joies, cette symphonie du ciel et de sa pensée ? Fête au jardin, fête partout, fête au boulevard Beauséjour, où le char triomphal ressuscité leur tendait ses bras de bronze pour les mener à l’église. Entendait-elle point déjà le cri des orgues qui s’élevait ? – Et, mêlant les pompes chrétiennes aux pompes païennes d’autrefois, est-ce qu’il ne lui semblait pas apercevoir déjà l’hiérophante, vêtu de lin, qui attendait devant le temple, parmi les prêtres en robe d’hyacinthe ? La flamme, fleur de pourpre, montait d’entre les guirlandes de l’autel, et les colombes, qui s’envolaient, le frémissement des palmes et des rameaux d’olives faisaient comme une brise très douce, tandis que se déroulait sous le ciel bleu la procession des vierges, jetant pêle-mêle des chants avec des roses.

– Ô Hymen ! ô Hyménée !

Et voici que tout à coup le temple s’effondrait : un vent s’était levé, qui avait soufflé sur les roses, soufflé sur les théories. Et c’était fini d’Éleusis, fini du char triomphal, fini des Tanagriennes. Plus jamais elle ne les reverrait, ses sœurs de terre cuite dorée, plus jamais il ne barboterait, le petit pinceau d’aquarelle.

– Adieu, chères Tanagriennes, adieu !

Il leur faudrait aller en esclavage dans la boutique noire des marchands. Et cela suffirait-il même à racheter l’honneur de son père ?

– Pauvre bon papa ! dit-elle. Il est capable d’en mourir.

Elle mit ses mains à plat sur sa figure : entre ses doigts les cils pointaient, à peine désenfilés des dernières larmes ; et, malgré ce bandeau qu’elle avait, elle le voyait, lui, ce jour qu’enhardi après l’avoir sauvée, il lui avait dit : « Je vous aime ! »

Alors, éperdue, elle se jeta à genoux devant sa Vierge, et s’enfonça les doigts dans les oreilles, où sa voix murmurait encore : « Je vous aime ! » parmi les vocalises d’Athina, les ronrons de Périclès et les pizzicati légers de la fontaine. Mais elle avait beau faire l’odeur même de ces lilas d’avril, le musc des lierres la grisait : et maintenant – si intime et vivante était en elle la mémoire de ce déjeuner à Éleusis, où l’amour était venu, qui n’était pas invité – il lui fallait se débattre contre ces délices rappeleuses, secouer ses jupes, ses cheveux, qui en avaient gardé le parfum.

Elle retourna à la fenêtre, ayant soif de plein air ; mais là aussi c’étaient de pareils effluves, des tiédeurs qui l’amollissaient.

L’orage arrivait au galop et les premiers coussins de nuages se posaient au faîte des maisons. Un coup de tonnerre éclata, loin, qui roula longtemps pour finir en un ronron de chatte ou de tourterelle.

Oh ! pourquoi l’aimait-elle encore ? C’était mal : mais qu’y faire ? Alors qu’elle aurait eu tant besoin de courage, de quel droit avait-il pris son cœur, le méchant ?

– Oh ! rends-le-moi ! dit-elle tout haut à l’étoile. Et l’étoile ne sut pas si c’était lui qu’elle voulait dire, ou son cœur. L’ingrat, qui s’était battu en duel ! Est-ce qu’on se bat quand on aime bien ? Lui, si doux, timide presque – un dragon, c’est drôle, si timide !... – et rangé, ne sortant jamais de ses livres de théories, de tactique, de sa pipe... Oui, de sa pipe... Oh ! dame ! plus tard, la pipe, on aurait vu, n’est-ce pas ?.. Comment est-ce qu’il avait pu trouver l’occasion de se battre ? Il n’était d’aucun cercle, mangeait au café d’Orsay, en pension, avec deux camarades, pas batailleurs non plus, eux. Quoi alors ? L’avait-on provoqué ?.. Pas à cause d’elle, bien sûr !... Vilain, qui se battait sans permission... sans lui dire adieu seulement ! Lorsqu’on part, sait-on jamais si l’on reviendra ?

Elle ne se défendait plus d’y penser, et se laissait aller à cette pente, qui si gentiment l’entraînait. Oh ! oui, elle l’aimait, et, malgré ce duel, sa confiance en lui demeurait entière. Eh ! mon Dieu ! Un duel ! Il n’y avait peut-être pas de sa faute. On vous insulte et puis après... force est d’aller sur le terrain, à moins d’être lâche. Et dame !... un lâche et lui... ça faisait deux.

Soudain l’idée qu’elle ne le verrait plus s’abattit sur elle lourdement. Non, jamais plus ! Puisqu’elle en épousait un autre. Et quel autre ? Varon-Bey. Ne fallait-il pas sauver son père, son père, qui ne voulait pas être sauvé et que cela humiliait de devoir l’honneur à sa fille, à une petite Chantal de rien ? – Un général c’est fier ! – Bah ! Elle saurait bien l’y forcer.

– Oui ! soupira-t-elle, en regardant l’étoile dont la paupière de nuées se fermait, oui... il le faut ! Maman Tine l’a dit, ce matin.

Et le son de sa voix la remua toute, comme si quelqu’un d’autre eût parlé qui lui commandait ce sacrifice.

Déjà c’était fait de ces petitesses de regrets : un grand coup d’ailes de mystique l’emporta, éclatante de foi, transfigurée. Sans doute que Dieu, qui lui rendait son père, exigeait l’échange de sa vie, qu’elle-même lui avait offerte le matin.

– Je suis prête ! dit-elle. Prenez-la, Seigneur !

Malgré tout, ses jeunes confiances lui restaient : qui sait si, comme jadis sur la montagne, le bûcher déjà allumé, le glaive nu, l’ange ne crierait pas : « Abraham ! Abraham ! » Et une ombre de sourire effleura sa bouche, à cette sereine vision de séraphin blond et rose, qui ressemblait à André.

L’orage s’épandait maintenant et le cercle de l’horizon se fermait, ainsi que s’était fermé l’œil de l’étoile. Le vent accourut, et d’estoc et de taille il sabrait les branches, hachait les buissons, qui, s’entrouvrant, laissaient voir le ruban plus pâle des allées. Les oiseaux piaulaient, les feuilles crépitaient ; et jusqu’au tonnerre lointain, tout faisait un bruit de bataille. Alors, à un battement d’éclair, qui creusa d’un trou de feu les pelouses, Chantal se pencha, pensant que c’était l’ange qui venait.

Elle était revenue à sa Vierge, demi-pâmée dans un coup de prière, balbutiant :

– Sainte Marie, mère de Dieu... Sainte Marie, mère de Dieu...

Puis, assagie, debout à la fenêtre, elle pesa sa vie à la balance de sa raison. Qu’était-ce, sinon de perpétuelles misères ? Où donc les joies certaines, où les journées fuyant toutes pareilles et blanches, comme un troupeau d’agneaux dans un chemin ? Pas sa mère ni son père, qui les avaient eues en partage. Que de larmes secrètes parmi les années heureuses ! – Et, de nouveau, d’une saccade de pensée elle eut un envolement de martyre, mâchant par avance ces félicités savoureuses d’oubli, de renoncement : relever son père, rendre à ce nom de Varèse son poli rayonnant d’épée, tels seraient désormais ses plaisirs. Ce nom même n’était pas à son père tout seul : mais en partie sa chose à elle, et son bien. Qu’importaient les baisers de cet homme, l’abandon de sa chair, puisque cela seulement serait l’honneur de son père, et que ce frottement de passion lui rendrait le vernis d’autrefois ! Enfin, si la force manquait à ses épaules de vierge, est-ce que, sa tâche accomplie, la mort n’était pas là – la mort, où l’on se retrouve ?

La demie d’onze heures sonna à l’horloge de la cour.

– Vite ! dit-elle. Peut-être que demain déjà serait trop tard.

Elle ferma sa fenêtre et s’habilla, les bougies allumées. Et ce furent de recherchées et subtiles coquetteries, des raffinements de courtisane. Il fallait bien plaire à cet homme ! Ses yeux d’abord : elle avait tant pleuré ; puis ses joues : elle y mit un peu de rouge, et, les bras levés en cariatide, devant sa glace, elle se coiffait, essayant des sourires et des poses. Les mains à la taille, elle tournait sur elle-même, l’œil aux faux plis, battant sa robe de petites tapes tout autour.

Et rien n’était navrant comme cette toilette de victime, ce harnachement de combat, qui n’avait pas même au bout le coup de fouet d’une chance de victoire.

Elle se regarda longtemps, moulée dans son corsage à basques de soie bleue, fin boutonné d’argent, sur la tête une capote de paille, où dansaient des mandarines. – S’il allait ne plus vouloir d’elle ? Un court frisson lui pinça la peau à cette idée. Puis, s’étant agenouillée une fois encore, elle envoya un baiser à la petite joueuse de double flûte, qui modulait doucement comme pour l’appeler, et sortit.

Dans l’escalier sans lumière, elle montait à tâtons, tremblant d’être surprise. Arrivée devant la porte de son père, elle s’arrêta et l’entendit qui marchait. Rassurée, elle descendit au jardin, se défilant aux passages d’ombre. Elle avait pris la clé d’une petite grille, qui donnait au bout, rue de Varennes, et fut plus d’un quart d’heure à l’ouvrir, défaillante et la main tordue. Oh ! échouer contre ce misérable obstacle ! – Enfin, bandant ses efforts, elle arracha le pène rouillé.

Dehors elle se mit à courir. L’orage avait fui, chassé vers l’est en tempête : et au fond de son orbite de nuages la petite étoile tremblait comme une prunelle. Arrivée au coin de la rue de Bellechasse, Chantal tourna la tête, et, jetant un baiser en l’air :

– Adieu ! dit-elle à l’étoile.